William Martignier (103 ans)

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Message  Admin Jeu 18 Aoû - 21:37

William, le chef de train espiègle à la mémoire bluffante
Habitant du Lignon, cet homme de 103 ans raconte la mobilisation, la soupe aux orties de Jeanine et ses 77 agendas.

(Tribune de Genève (15.08.2022) Aurélie Toninato)

Il a vu le jour un 10 août, comme moi. Avec juste quelques années de plus au compteur: lorsque je suis née, il était déjà à la retraite William Martignier vient de fêter ses 103 ans. Cet habitant du Lignon depuis cinquante ans est prolixe. Et très en forme: il conduisait encore il y a quelques mois. «J’ai arrêté parce que je n’arrive plus bien à faire les 170 pas qui me séparent de ma voiture au garage.»

Pour se raconter, le centenaire a préparé quelques phrases sur un calepin. Écrire est une habitude: depuis 1946, il noircit des agendas. «Cette année-là, mon patron avait oublié de m’inscrire trente minutes de travail. Depuis, je note tout.» Septante-sept agendas au total, où sont consignées des bribes du quotidien, entre événements internationaux, coups de fil de tata, coupures de journaux, météo, décès. Cette mémoire de papier, William n’en a pas besoin, la sienne est bluffante de précision.

Ballons à gaz et avions alliés
«Je suis né à Genève le 10 août, je ne sais pas à quelle heure, je n’avais pas encore de montre», sourit-il avec malice. Et de dérouler le fil de son enfance. La course Gordon Bennett - compétition internationale de ballons gonflés au gaz - au-dessus de la ville et la catastrophe évitée de justesse lorsqu’une nacelle percute un poteau électrique devant la maison des Martignier. «J’ai cru qu’on allait y passer, je m’en souviens comme si c’était hier alors que je n’avais que 2 ans. Je dis bien 2 ans, Madame!»

Il raconte aussi son passage éclair dans une maison d’arrêt, à 5 ans, pour avoir volé des cacahuètes, l’école primaire à Châtelaine - «où on était 40 élèves par classe» -, la course d’école au Salève «avec le petit train à crémaillère qui n’existe plus», la construction du pont Butin, les champs de blé à la place des citernes, Hélène - «une petite boulotte» - qui croquait dans un oignon pour le goûter. William se rappelle les noms des maîtres et maîtresses, raconte au moins une anecdote par année scolaire, énumère les dates au jour près. «J’étais heureux. Voilà, la première partie de mon histoire est terminée.»

Place à la deuxième, avec quelques années d’errance où l’adolescent, pas scolaire, «végète» et enchaîne les petits boulots avant que n’éclate la Deuxième Guerre mondiale et qu’il ne soit mobilisé, en 1939, dans l’artillerie lourde de défense contre les avions. A-t-il dû descendre des engins? «Attendez, je dois d’abord vous raconter plein de choses avant d’arriver à cette histoire!» répond-il, espiègle. Les mois s’enchaînent, à Kloten, à Thoune, en Engadine, avec des canons installés dans un cimetière, des munitions cachées dans une morgue, de brefs retours à Meyrin, du chocolat offert à une petite exilée dans un train rempli de réfugiés belges.

«Et puis, il y a eu cette fois où l’aviation alliée a violé notre espace aérien. On était postés le long du Rhin, on a dû tirer. C’était pas du cinéma, ça, Madame, de voir tomber un avion en feu» Le Genevois sera mobilisé près de huit cents jours. «Bien entendu que c’était difficile. Mais ça s’est pas trop mal passé pour moi. Laissons le militaire et revenons au civil.»

La soupe et le loto
En 1944, l’ex-soldat trouve du travail à l’usine à gaz, à Vernier, où il deviendra ensuite conducteur de train. La même année, il se marie avec Jeanine, avec qui il aura un fils, Alain. «C’était une fille de la campagne. Elle habitait pas loin de chez nous, elle travaillait au Grand Passage, ses parents avaient des pigeons. On allait aux champignons, cueillir des orties - ah, la soupe de Jeanine, c’était fameux.» Un jour, il lui demande si elle veut bien l’épouser. «Elle a appuyé sa tête contre mon épaule, ça voulait dire oui. On a mûri ensemble, elle était belle et patiente. Mais superstitieuse! Combien de fois j’ai eu rigolé avec ça! On était heureux, même si c’était une période compliquée, avec le rationnement, on a mangé beaucoup de chou. Mais paraît que le cancer n’aime pas le chou. J’ai encore un coupon de rationnement, vous voulez voir?»

En 1980, William prend sa retraite. Avec Jeanine, ils achètent un chalet dans le canton de Fribourg, le restaurent et y passent plusieurs mois par an. «Là-bas, je pratiquais mon sport favori: le loto! J’ai gagné plein de cornets garnis. J’aime aussi beaucoup jouer aux cartes», ajoute-t-il avec les yeux qui brillent, avant de se lancer dans l’explication d’une partie d’anthologie. «C’était atout cœur, j’avais le stöck (ndlr: roi et dame d’atout)»

Mots fléchés et endives
Aujourd’hui, William ne joue plus au loto, ni au jass. Jeanine est décédée en 2004. Mais le senior n’a rien perdu de sa bonne humeur et ne se laisse pas aller. Il lit les nouvelles, enchaîne les mots fléchés, noircit son agenda, reçoit les visites de son fils, cuisine. «Oh, j’aime ça, cuisiner! Je me prépare des plats pour la semaine.» Ces prochains jours, c’est endives au jambon et papet vaudois. Une voisine et son fils l’aident pour les commissions. «Dans le temps, j’aimais bien aller à la Migros, car on discutait avec les gens mais, maintenant, plus personne ne se parle.»

William ne dit pas «c’était mieux avant», mais avoue ne pas bien savoir vers quoi va le monde. «Chacun veut toujours plus. Or, à force de pomper dans les ressources naturelles, c’est sûr, il y aura bien une fin.» Ses ressources à lui ne semblent pas encore épuisées. Son secret? «Je bois mon verre de vin et mange avec modération!»

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